Et si la “faible libido féminine” était une construction patriarcale ?

« Les hommes ont plus de désir que les femmes. » Cette phrase, qu’on entend encore aujourd’hui dans la bouche de médecins, de journalistes ou de partenaires, semble aller de soi.

Et pourtant, de plus en plus d’études scientifiques et sociologiques viennent démontrer que cette différence n’est pas biologique, mais socioculturelle. Autrement dit : ce n’est pas le corps des femmes qui est “moins porté sur le sexe”, c’est le monde dans lequel elles vivent qui bride leur désir.

1. Pas de preuve que les femmes soient biologiquement “moins sexuelles”

Aucune recherche n’a prouvé l’existence d’une différence innée de libido entre les sexes. Bien au contraire, les rares différences biologiques mesurables (comme les niveaux de testostérone) n’expliquent qu’une part infime du désir sexuel. Et encore, même ceci est sujet à discussionsssssss.

La psychologue Lisa Diamond, professeure à l’université de l’Utah, a montré dans plusieurs études que le désir féminin est particulièrement plastique : il évolue selon les contextes, les relations, le climat social. Elle rejette l’idée d’une libido féminine naturellement plus faible et insiste sur l’influence des environnements émotionnels, affectifs et symboliques (Diamond, 2003 ; 2009). En fait, l’environnement patriarcal. Continue à lire… je t’explique ça plus tard.

De même, le sexologue britannique John Bancroft, ancien directeur de l’Institut Kinsey, souligne que la réactivité sexuelle féminine est extrêmement sensible aux conditions extérieures (alias patriarcat) : anxiété, image du corps, communication, sécurité émotionnelle (Bancroft, 2005).

2. Ce qu’on appelle “faible libido” est souvent une libido opprimée

Des chercheuses comme Meredith Chivers ou Emily Nagoski insistent : les femmes ne manquent pas de désir, elles sont socialement dissuadées de l’exprimer, et sexuellement peu stimulées dans des contextes qui ne tiennent pas compte de leurs besoins.

Emily Nagoski, dans son ouvrage Come As You Are (2015), s’appuie sur de nombreuses recherches pour démontrer que les femmes sont tout aussi réactives au niveau physiologique que les hommes (lubrification, afflux sanguin, rythme cardiaque) lorsqu’elles sont stimulées dans un contexte sécurisé et non jugeant. Comme les hommes !

Mais, comme les hommes, leur désir est freiné par des “inhibiteurs” sociaux et psychologiques : peur du jugement, mauvaise image du corps, pression à la performance, passivité attendue dans l’acte sexuel, etc.

3. Le désir sexuel féminin étouffé par des siècles de patriarcat

La notion de libido féminine a été historiquement façonnée par une vision androcentrée et répressive de la sexualité.

Dès le XIXe siècle, la médecine occidentale classe les femmes “trop sexuelles” comme hystériques, voire malades. Le plaisir féminin est toléré dans le cadre reproductif, mais considéré comme suspect hors de ce cadre (Laqueur, Making Sex, 1990).

Encore aujourd’hui, les scripts sexuels dominants attribuent à l’homme le rôle de l’initiateur du rapport, et à la femme celui de la personne “qui se laisse faire” (Wiederman, 2005). Résultat : dans les relations hétérosexuelles, le désir féminin est souvent relégué au second plan.

Une étude de l’Université de l’Indiana (Herbenick et al., 2010) révèle que le plaisir et l’orgasme sont bien plus fréquents dans les relations lesbiennes que dans les relations hétérosexuelles — non pas parce que les femmes aiment moins les hommes, mais parce que le cadre relationnel lesbien valorise davantage la communication, le consentement, la lenteur, la réciprocité.

4. Quand la culture change, le désir s’exprime

L’étude internationale de Lippa (2009) semblait montrer une différence de désir entre hommes et femmes. Mais elle a été largement critiquée pour ignorer les normes culturelles, notamment le poids des interdits sur la sexualité féminine.

Dans les sociétés plus égalitaires, l’écart entre les désirs masculins et féminins se réduit à peau de chagrin (Baumeister & Mendoza, 2011). Et dans des contextes éducatifs où la sexualité féminine est valorisée, les adolescentes rapportent autant de fantasmes et de désirs que les garçons (Fine & McClelland, 2006).

Enfin, les travaux de la sexologue canadienne Rosemary Basson ont profondément renouvelé notre compréhension du désir féminin : il n’est pas moins fort, il est moins spontané. La faute à qui ? Encore le contexte sociétal ! Les désirs féminin et masculin émergent dans un contexte de sécurité, de stimulation émotionnelle et de plaisir partagé (Basson, 2000). Sauf que… les hommes sont socialisés à être dominants. Donc en plus de leur désir d’être humain, ils sont éduqués à être excités par la domination.

Conclusion : ce n’est pas le désir féminin qui manque, c’est l’espace pour l’exprimer

L’idée d’un “désir masculin” fort et d’un “désir féminin” faible repose moins sur des données biologiques que sur des siècles de conditionnement patriarcal.

La libido féminine existe, pleinement. Elle a simplement été niée, déformée ou enfermée dans des cadres qui ne lui permettent pas de s’épanouir.

Le défi, aujourd’hui, n’est pas d’“augmenter” la libido des femmes, mais de transformer les conditions sociales et sexuelles qui l’étouffent

Références :
• Basson, R. (2000). The female sexual response: A different model. Journal of Sex & Marital Therapy, 26(1), 51–65.
• Bancroft, J. (2005). The endocrinology of sexual arousal. Journal of Endocrinology, 186(3), 411–427.
• Chivers, M. L. (2007). Gender and sexual arousal: Implications for the clinical sexologist. Canadian Journal of Human Sexuality, 16(1-2), 15–30.
• Diamond, L. M. (2009). Sexual Fluidity: Understanding Women’s Love and Desire. Harvard University Press.
• Fine, M., & McClelland, S. I. (2006). Sexuality education and desire: Still missing after all these years. Harvard Educational Review, 76(3), 297–338.
• Herbenick, D. et al. (2010). Sexual behavior in the United States: Results from a national probability sample. Journal of Sexual Medicine, 7(s5), 255–265.
• Laqueur, T. (1990). Making Sex: Body and Gender from the Greeks to Freud. Harvard University Press.
• Nagoski, E. (2015). Come As You Are: The Surprising New Science that Will Transform Your Sex Life. Simon & Schuster.
• Wiederman, M. W. (2005). The gendered nature of sexual scripts. The Family Journal, 13(4), 496–502.