Lettre à la femme qui m’a posé cette question : « Comment offrir mon corps à quelqu’un qui ne veut pas de mes émotions ? »
C’est la question, à la fois simple et bouleversante, que m’a posée une femme, il y a plus de 10 ans.
Depuis, j’y pense souvent.
J’ai cheminé au gré du vent, glanant des éléments de réponse ici et là. Jusqu’à ce que, soudainement, cette lettre prenne corps en moi.
Je la partage avec vous tou.te.s en espérant que celle à qui elle s’’adresse la lise aussi, un jour.
Chère L,
Ta question, touche à un nœud profond : celui du don de soi dans une relation qui ne reçoit qu’une partie de ce que nous sommes.
Entrons doucement… dans cette question, avec délicatesse et lucidité.
Offrir son corps à quelqu’un qui refuse nos émotions, est-ce vraiment un don ?
Offrir son corps, c’est déjà s’ouvrir. C’est se mettre en vulnérabilité.
Ce n’est pas un geste technique !!!
C’est, même sans parole, une façon de dire « voilà qui je suis ».
Et si l’autre ferme la porte à nos émotions, il rejette une partie essentielle de ce don.
Tu pourrais, bien sûr, dissocier.
Fermer ton cœur, couper le flot, “jouer le jeu” du corps sans le reste.
Beaucoup le font. Par adaptation. Par survie. Par espoir d’amour.
Mais ce n’est plus un don, c’est une transaction.
Que devient ton plaisir, dans une telle dissociation ?
Je suis spécialiste du plaisir féminin. Je sais que le corps, pour jouir pleinement, a besoin de sécurité. De reconnaissance. D’un espace où les émotions ne sont pas un fardeau, mais un langage possible, joyeux la plupart du temps.
Si l’autre se sent encombré par tes émotions, ton corps risque de se fermer à petit feu.
Il peut se donner. Mais il ne peut pas se vivre.
Alors, ce n’est pas seulement : “Puis-je lui offrir mon corps ?”
C’est plutôt : Que devient mon propre désir, quand mes émotions sont rejetées, mises à distance, niées ?
Et si on retournait la question ?
Comment accueillir mon corps, mes émotions, mon plaisir, sans les fragmenter pour correspondre à l’attente de quelqu’un qui n’a pas envie de tout ce que je suis ?
Parce que ton corps n’est pas un service !
Il est le lieu de ton plaisir, de ton vécu, de ta mémoire. Il mérite un regard qui ne le coupe pas de qui tu es.
Et toi, tu mérites d’être touchée entièrement, « corps et âme ». Pas à moitié.
Comment exprimer ce qui t’habite ?
Parfois, les mots ne passent plus. Peut-être parce que tu les as déjà tous dits ou écrits. Et l’autre ne se laisse pas atteindre, toucher, émouvoir par eux.
Pourtant, si ce n’est pas par des mots adressés à quelqu’un, on peut chercher un autre chemin. Un chemin pour toi. Pour ne pas te trahir. Pour rester vivante là où l’on voudrait que tu te coupes.
Ce que ton corps ressent, même quand tu ne dis plus rien
Même si tu fais silence. Même si tu consens à une étreinte sans émotion partagée.
Ton corps, lui, sait. Il enregistre. Il parle en creux.
Parfois il se crispe, parfois il s’éteint, parfois il crie de l’intérieur sans que personne ne l’entende.
Et ça, c’est une forme de sagesse. Celle de ne plus vouloir se forcer pour correspondre. Céder n’est pas consentir.
Ce que tu peux te demander, ici et maintenant
Je te propose quelques questions. Pas pour y répondre tout de suite, mais pour te tenir compagnie :
• Est-ce que je me sens respectée dans ce que je ressens ?
• Est-ce que mon corps dit oui, ou est-ce qu’il s’adapte ?
• Qu’est-ce que je perds à me donner comme ça ?
• Qu’est-ce que je protège, en ne m’exprimant plus ?
• Qu’est-ce que j’aimerais vivre profondément, si je n’avais plus peur d’être rejetée dans mes émotions ?
Tu peux les laisser t’habiter.
Les noter. Y revenir. Non pas pour trouver des réponses immédiates, mais pour que ton système intérieur sache que tu l’écoutes. Que tu ne l’abandonnes pas, même quand l’autre ne veut pas tout de toi.
Une piste : ne pas t’offrir, mais te revenir
Et si, pour l’instant, il ne s’agissait pas d’offrir ton corps ? Mais de le retrouver.
De ne pas le mettre entre des mains fermées, mais de le garder dans les tiennes, pleines.
Il ne s’agit pas de renoncer à l’amour, ni au partage sensuel. Mais de ne plus te fragmenter pour le peu qu’on t’autorise à être.
Je te propose 3 pistes. Parcours-les, adoptes-en une, adaptes-les à toi ou inventes-en une qui te sera propre…
1. Dialogue intérieur : rencontrer les deux parts de toi
Je te propose ici une forme de rencontre intérieure entre deux parts de toi :
celle qui veut encore s’offrir, espérant une reconnaissance ou un lien…
et celle qui ne veut plus se trahir.
Prends un instant. Respire. Pose une main sur ton ventre, l’autre sur ton cœur. Et imagine ce dialogue :
Partie qui veut s’offrir :
Je me sens seule. J’ai encore envie de contact. De chaleur. De tendresse. De plaisir. Même si ce n’est pas parfait, c’est quelque chose. Et j’ai peur qu’en me retirant, il ne reste plus qu’un désert sec, vide, désolé.
Partie qui veut se préserver :
Je t’entends. Mais chaque fois que tu te livres à quelqu’un qui ne t’accueille pas vraiment, tu te blesses un peu plus. Je suis là pour veiller à ce que tu ne t’éteignes pas. Tu mérites un toucher qui respecte tout ton être.
Partie qui veut s’offrir :
Mais si je dis non, ou si je me crispe ou me ferme, il va penser que je ne l’aime plus, que je ne le désire plus. Il va se durcir, s’éloigner. Et je perdrai le lien.
Partie qui veut se préserver :
Le lien ne devrait pas dépendre de ton silence ou de ta douleur. Il devrait se nourrir de ta vérité. Si tu dois renier tes émotions pour qu’il reste tendre et aimant, alors ce n’est pas du lien qui relie. C’est un lien qui ligote : une prison.
Partie qui veut s’offrir :
Et si je ne suis plus touchée ? Si je reste seule ?
Partie qui veut se préserver :
Alors on apprendra à se toucher autrement. À redécouvrir ce que ton corps aime, sans devoir l’offrir pour être vue. On peut reconstruire un plaisir plus juste. Plus libre. Et peut-être, un jour, être reçue pleinement.
Laisse résonner ce dialogue.
Tu peux même le jouer à voix haute, ou l’écrire avec deux stylos différents.
Tu n’as pas à choisir trop vite. Ces deux parts peuvent cohabiter, se parler, s’apprivoiser.
2. Ancrage corporel : retrouver ta maison
Voici un rituel très simple pour revenir à toi, dans ton corps, sans te couper ni t’exposer :
Rituel du sanctuaire intérieur (10 min)
1. Installe-toi dans un espace tranquille. Allume une bougie si tu veux.
2. Ferme les yeux. Pose une main sur ton bas-ventre, l’autre sur ton cœur.
Ressens la chaleur de tes mains. Laisse ton souffle s’y déposer.
3. Dis doucement, à voix haute ou en silence :
Je suis chez moi. Je ne suis pas un territoire à conquérir. Je suis un lieu sacré, et j’en choisis l’accès.
4. Prends conscience de la SENSATION de ton sexe, ton ventre, ton cœur. Imagine-les comme une maison.
Pas une vitrine. Une maison habitée.
Vois les pièces, les couleurs, les lumières.
Où se sent-on bien ? Où est-ce encore en travaux ?
Est-ce que la porte est ouverte ? Fermée ? Entrebâillée ?
Tu es la seule à avoir la clé.
5. Termine avec ce geste :
Caresse doucement ton bras, tes cuisses, ton ventre, comme si tu disais à ton corps :
« Je suis là. Je t’écoute. Je ne t’offrirai plus à qui ne veut pas t’honorer. »
Fais-le autant que nécessaire. Avant un moment d’intimité. Après. Ou juste pour te reconnecter.
3. Ce que ça change de ne plus vouloir s’abandonner à quelqu’un qui ne t’accueille pas toute entière ?
Ça change presque tout.
• Tu arrêtes de faire semblant.
• Tu retrouves ta dignité et pas seulement sexuelle.
• Tu sens que ton “oui” devient vrai, et n’est pas une stratégie, pas une concession.
• Tu perds peut-être du contact physique… mais tu regagnes une forme de paix intérieure. Tu te restes fidèle à toi-même.
• Tu ouvres peut-être une crise dans la relation… mais aussi une chance de changement et de vérité.
Et surtout, tu n’as plus peur de toi.
Ne plus s’abandonner à qui ne veut pas de ton tout,
c’est reprendre les clés de ta maison.
Et ce n’est pas rien. C’est le début d’un autre amour. Peut-être avec l’autre. Peut-être sans l’autre.
Mais surtout avec toi.
Tu n’es pas seule !