Pourquoi les hommes ne s’intéressent pas (vraiment) à la sexualité ?

Ils parlent de sexe. Beaucoup. Ils en rient, s’en vantent, fantasment.
Mais s’intéressent-ils vraiment à la sexualité ?
À son intelligence, à sa complexité, à son potentiel relationnel, à sa tendresse, à sa puissance ?
Pas vraiment. Et c’est un problème.

Une fausse évidence : les hommes veulent du sexe

Le sexe fait partie de l’identité masculine depuis des générations. On apprend très tôt aux garçons à « avoir envie », à « prendre les devants », à être performants. Leur virilité est évaluée à l’aune de leur activité sexuelle, réelle ou fantasmée.
Alors quand on affirme qu’ils ne s’intéressent pas à la sexualité, ça semble paradoxal.
Et pourtant.
Dans une chronique du Monde publiée le 1er juin 2025, la journaliste et sexologue Maïa Mazaurette pose une question dérangeante :
« Et si les hommes hétéros ne s’intéressaient pas à la sexualité, mais seulement à une mécanique du sexe ? »
Ils veulent des rapports, mais ne lisent aucun livre sur le désir.
Ils veulent que leur partenaire jouisse, mais ne s’intéressent pas à l’anatomie du clitoris.
Ils veulent « que ça marche », mais ne se posent pas la question de ce qui pourrait faire sens.

Le script sexuel hétéro : une mécanique bien huilée… et bien limitée

Ce désintérêt s’enracine dans ce que les sociologues appellent le script sexuel hétéronormé. Il suit en général ce schéma implicite :
1. L’homme initie.
2. On s’embrasse.
3. On stimule un peu les seins ou la vulve.
4. On pénètre.
5. Il éjacule.
6. C’est fini.
Ce modèle a été tellement intériorisé qu’il est rarement questionné.
Mais il repose sur plusieurs postulats erronés :
• Que le plaisir de la femme passe automatiquement par la pénétration.
• Que le plaisir masculin est la finalité.
• Que tout le monde suit le même tempo, les mêmes envies, les mêmes fantasmes.
Or, la majorité des femmes n’atteignent pas l’orgasme par la seule pénétration. Il faut stimulation clitoridienne, confiance, détente, communication. Et tout cela est absent du script.

Un apprentissage sexuel biaisé dès l’adolescence

Les garçons ne sont pas socialisés à la relation, mais à la performance.
Ils découvrent la sexualité via le porno, rarement via le dialogue.
Ils ne reçoivent pas d’éducation au consentement, ni à l’écoute de l’autre.
On leur dit « il faut assurer », mais jamais « il faut comprendre ».
À l’inverse, les filles sont souvent poussées à « faire attention », à « gérer la relation », à « satisfaire » sans déranger.
C’est là que naît la charge sexuelle, proche de la charge mentale : ce sont les femmes qui lisent, qui consultent, qui proposent, qui questionnent.
Comme le dit Mazaurette :
« Ce sont encore elles qui font le boulot. Et ça, c’est profondément injuste. »

La conséquence ? Une sexualité pauvre, frustrante, répétitive

Ce déséquilibre n’est pas sans conséquences :
• Des femmes qui simulent.
• Des hommes qui s’étonnent (voire s’agacent 🤬) qu’elles n’aient pas joui.
• Des silences qui s’installent.
• Des couples qui s’éloignent.
Et une absence criante de curiosité.
Peu d’hommes connaissent le clitoris autrement que comme un mot entendu.
Peu savent que le gland clitoridien n’est que la partie émergée d’un organe beaucoup plus vaste.
Peu s’interrogent sur les sensations, les émotions, les blocages de leur partenaire.

La science elle-même ignore encore le plaisir féminin

Ce désintérêt masculin pour la sexualité est aussi structuré par l’invisibilisation scientifique du corps des femmes.
En 2025, le clitoris est encore quasi absent des manuels scolaires dans de nombreux pays. Dont le tien.
Selon Odile Fillod et Sylvie Chaperon, historiennes et chercheuses, la proportion de publications scientifiques qui mentionnent le clitoris n’a pas augmenté depuis les années 1960.
Autrement dit : le clitoris est entré dans les médias… mais pas dans les laboratoires.
Et pourquoi ? Parce que le plaisir féminin est considéré comme un luxe, un à-côté, une cerise sur le gâteau — pas comme un objet d’étude sérieux.

Mais alors, les hommes sont-ils condamnés à rester désinvestis ?

Non. Certains bougent déjà, s’ouvrent à une sexualité plus égalitaire, plus curieuse, plus attentive.
Mais ce mouvement reste encore marginal.
Il faut aujourd’hui :
• Briser le mythe de l’instinct viril.
• Oser dire « je ne sais pas ».
• Encourager les hommes à poser des questions, à écouter sans se sentir remis en cause.
• Et surtout, leur dire qu’il est possible de prendre autant de plaisir en donnant qu’en recevant.
Parce qu’une sexualité riche, ce n’est pas une performance.
C’est une co-création, une exploration à deux.

Ce que les femmes peuvent (encore) faire — ou pas

On me demande souvent : « Mais alors, que peuvent faire les femmes ? »
Ma réponse est ambivalente.
D’un côté, nous faisons déjà trop : nous éduquons, expliquons, rassurons, proposons.
De l’autre, il est possible de poser des limites, d’inviter au dialogue, de refuser de jouer un rôle.
L’idée n’est pas de culpabiliser. Mais de rendre à chacun sa part de responsabilité.

Et maintenant ?

On pourrait rêver d’un monde où les hommes se demandent sincèrement :
“Qu’est-ce que je veux apprendre ? Qu’est-ce qui me bloque ? Qu’est-ce que je ne sais pas ?”
Un monde où ils reconnaîtraient que la sexualité n’est pas un savoir inné, mais un langage à apprendre, un chemin à construire.
Et surtout, un monde où l’on comprendrait que le plaisir féminin n’est pas un bonus, mais une base.

À écouter : le podcast complet

🎙️ Dans le dernier épisode de Sexponentielle, je développe en profondeur cette thématique :
👉 Pourquoi les hommes ne s’intéressent pas à la sexualité ?
👉 Que révèle ce désintérêt sur notre culture ?
👉 Comment transformer les choses, sans culpabiliser, mais avec lucidité et espoir ?
💬 À écouter seul·e, à deux, ou à offrir à un homme curieux de mieux faire.
🎧 https://open.spotify.com/episode/0cW8B2376jcyHDFsMSmvUr?si=fbf0f14c06db4f5f