Après la ménopause, les femmes ont encore plus accès au plaisir

(Traduction article de Standaard)

Son milieu aristocratique et son âge n’ont pas empêché Marie-des-Neiges de Liedekerke de lancer un projet autour de la sexualité. « Quand les femmes apprennent à aimer leur corps, les hommes ne peuvent plus les dominer ».

Ambassadrice du plaisir féminin

Marie-des-Neiges de Liedekerke (1963) est bruxelloise. Fille de diplomate, elle a élevé 4 enfants et est aromathérapeute. En 2021, elle a fondé Sexponentielle, un espace pour celles et ceux qui veulent se perfectionner en plaisir féminin. Elle propose des séances d’information collectives et des entretiens individuels lors desquels, sur base d’articles scientifiques et de ses propres expériences, elle montre le chemin vers une vie sexuelle plus épanouissante.

Pieds nus, Marie-des-Neiges ouvre la porte de son appartement sous les toits à Ixelles. « Parce que j’aime tellement être en contact avec le sol », dit-elle. Ça la définit d’emblée comme une femme sensuelle et élégamment excentrique. « J’ai toujours eu le sentiment d’être un peu en décalage » dit-elle avec un sourire en s’asseyant sur un ballon. « Ça a commencé avec ma famille « inhabituelle » Ma mère est polonaise, mon père était ambassadeur, et ils habitaient à l’étranger avec leur famille nombreuse. J’ai aimé ça et en même temps j’étais une petite fille très sensible ».

Une petite fille qui a dû devenir femme étonnamment tôt puisqu’elle a attendu un bébé à l’âge de 20 ans après une aventure estivale. « Grand péché ! dit-elle en riant, J’ai décidé assez vite d’arrêter mes études de philologie classique et de trouver du travail pour être indépendante financièrement . Pendant longtemps, je me suis sentie coupable quand mon petit garçon traversait des moments difficiles – ce que je reliais au manque de père – mais ce qui compte, c’est l’amour, et ça, j’en avais en abondance ».

Ces souvenirs lui font monter les larmes aux yeux, et aussi quand elle évoque son ignorance sexuelle. « Même après être devenue mère, je ne connaissais pas les bases de ma propre sexualité. On ne m’avait rien dit. Quand, vers l’âge de 12 ans, j’ai posé une question à ce sujet à ma mère, la chère femme avait si peu de mots pour cela qu’elle m’a donné une réponse mal à l’aise et peu claire. A l’école nous avons eu un seul cours sur la reproduction, lors duquel le plaisir et le désir étaient tus dans toutes les langues. Alors que ce sont de telles forces vitales. C’est pour cela que j’ai lancé Sexponentielle : pour démystifier le plaisir féminin. »

La femme inadéquate

Elle-même a été privée de plaisir pendant trop longtemps. « J’ai été violée dans le passé », dit-elle clairement mais avec prudence.

De temps en temps elle demande un temps de réflexion pour trouver les mots les plus gracieux. « Mais j’ai dépassé le point où je protégeais les agresseurs. Qu’est-ce qui est plus grave : ce que je révèle sur eux ou ce qu’ils nous font ? »

La vie avait commencé de façon romantique. « Quand mon fils avait 4 ans, j’ai rencontré mon mari, qui m’a demandé en mariage une minute après notre premier baiser. J’ai dit « oui » et je ne l’ai jamais regretté. Mais dans notre vie intime, il a commencé à me faire des reproches avec des mots très blessants »

« C’est seulement il y a environ 5 ans, quand j’ai partagé cela avec une dame d’un certain âge qui m’est très chère et qui a été très choquée, que j’ai réalisé combien ces comportements étaient durs et anormaux. J’ai toujours cru que : les hommes savent tout du sexe, les femmes rien, donc tout ce qui n’allait pas était de ma faute, la femme inadéquate. De telles pensées toxiques avaient percolé en moi comme l’eau dans une éponge : sans qu’on puisse dire comment ni où ça a commencé. C’est comme ça que le patriarcat fonctionne ».

« Encore maintenant, dit-elle fermement, voyez comment on parle : « les garçons ont un pénis, les filles non » – en négatif, c’est pourquoi il y a encore tant de mystères. Je reçois ici des dames entre 20 et 70 ans et même les plus jeunes ne savent pas dessiner une vulve ».

« Je ne dis rien de flou, dit-elle en souriant, car c’est contreproductif. Un des exercices qu’on fait ici consiste à apprendre qu’on peut dire joliment et joyeusement : vagin, clitoris, anus, éjaculation ».

En réalité, un homme éjacule autour de 10 ml, mais une femme entre 20 et 400 ml. Elle bande ses muscles et éclate d’un rire contagieux. « Et non, ce n’est pas du pipi. Les femmes ne devraient pas se retenir plus longtemps d’être des femmes fontaines si elles le souhaitent.

Tout aussi drôle, elle raconte sa rencontre avec le clitoris. En cachette, poussée par la culpabilité et la honte, j’ai participé à des séances sur le plaisir féminin et c’est là que j’ai vu pour la première fois un clitoris en 3D. Ça a été un choc ! J’ai invité mes filles au restaurant pour le leur montrer. Qu’est-ce qu’elles ont ri ! « Mais Maman, on sait bien ». »

Son rire s’éteint. « Parce que c’est terrible : ce n’est que autour de 55 ans que j’ai fini par découvrir que ce petit bouton entre les lèvres est à peine 10% de l’organe, et qu’en plus il est érectile et – contrairement au pénis – purement dédié au plaisir. Et il est désolant de constater qu’il a fallu attendre 1998 pour découvrir l’organe complet et 2017 pour qu’il soit représenté dans un des manuels scolaires de biologie français. 2017 ! Un seul manuel ! Ça montre que pendant des siècles, les femmes informées étaient considérées comme dangereuses par le patriarcat. Ça m’énerve tellement !

Elle exprime ouvertement sa colère et sa tristesse sur cet état de fait et aussi sur les côtés toxiques dans son mariage qui ont démoli sa féminité et son estime de soi. « Au fond du fond j’ai pensé : ou bien je quitte cette terre, ou bien je fais quelque chose de constructif avec ces émotions. Je soutiens de tout mon cœur les jeunes femmes qui crient leur indignation – leurs actions sont formidables et justes – mais je suis plutôt une militante du dialogue, je crois que nous avons besoin des femmes et des hommes pour transcender le patriarcat ».

« Les hommes qui veulent participer à un avenir plus juste sont depuis peu les bienvenus chez Sexponentielle. Mon cœur frémit encore quand je pense au jeune homme qui, lors de notre deuxième séance, m’a raconté avec joie qu’il avait fait l’amour avec une femme pour la première fois depuis des années. Avec moi il avait trouvé les mots pour lui dire qu’il voulait se concentrer sur son plaisir à elle et a su trouver sa zone G. C’est une chose que je dois encore expliquer à bien des femmes. »

« Quand j’ai su comment stimuler la zone G, je l’ai vue dans un miroir. Tel le nez de Pinocchio cette petite boule râpeuse se pointe », dit-elle en souriant. « J’ai aussi appris qu’en respirant profondément, on augmente l’excitation et le plaisir, de même qu’émettre des sons ou même crier. Contrairement aux idées reçues, les femmes après la ménopause n’ont pas moins mais plus facilement accès à l’excitation– elles ont souvent moins de soucis, de gêne ou plus de temps. Elles doivent juste utiliser du lubrifiant, chose que nombre de femmes jeunes auraient avantage à faire. Ce n’est certainement pas leur faute si elles ne sont pas assez humides pour être confortables. J’ai longtemps pensé que ma vulve était trop sombre et ridée, et j’en avais honte. Mais elle est parfaite. Chaque vulve est unique et différente.

« J’ai maintenant une magnifique collection de sextoys que j’utilise dans les jeux de l’amour ou seule ». Se masturber est une création de plaisir aussi valable qu’une co-création avec un ou une partenaire. On ne dit pas à un artiste que sa création est moins valable parce qu’il-elle l’a faite seul.e ? Chacun est la danseuse étoile de sa vie sexuelle et si quelqu’un se joint au ballet, tant mieux ».

Pendant qu’elle fume une cigarette sur son balcon, elle fait le récit nuancé de sa récente ré-union avec son mari après qu’elle lui a envoyé par erreur un mail d’adieu. « Nous étions en train de divorcer et j’avais mis dans cette lettre toute la beauté de nos 30 ans de mariage que je portais dans mon cœur. Tout doucement nous avons construit une nouvelle communication, dans les mots et avec nos corps. Il m’appelle sa liane, parce que mes mouvements au lit sont libres et fluides. Pour moi aussi c’est le jour et la nuit. Son soutien à mon féminisme m’émeut, ensemble nous allons encore sûrement franchir de nouvelles limites.

A quoi peut-on s’attendre dans son milieu ? « En fait, même quand les gens sont mal à l’aise avec Sexponentielle, ils ne le montrent jamais. Ils se mettent juste à parler de la pluie et du beau temps » dit-elle en riant. « Heureusement, il y a des dames qui sont curieuses. Les plus audacieuses viennent me voir. Mes client.e.s disent que Sexponentielle change leur vie. Au cours des séances, je perçois souvent du soulagement, comme si elles se disaient « ouf ! je ne suis donc ni bizarre ni moche ».

Ça me touche tellement, car plus les femmes auront du pouvoir sur leur corps, moins les hommes pourront les dominer. Si elles sont mentalement et physiquement en meilleure santé, elles peuvent entretenir des relations plus aimantes. En bref : elles rendent le monde meilleur. Contribuer à cela donne du sens à mon existence. C’est ma mission de vie et personne ne me fera y renoncer.

Article de Katrien Steyaert – De Standaard

https://www.standaard.be/cnt/dmf20220713_97692879